Je reviens de jouer aux obsèques de l'épouse d'un ami sonneur de bombarde. C'est lors de ces moments que je me sens le plus utile, que ça sonne le plus juste, que je me sens vraiment à ma place : j'ai reçu la musique pour la redonner, et ce don je le mets à la disposition de mes semblables pour rythmer les grands passages de leurs vies : naissances, unions, et le grand saut vers l'inconnu, l'éternité peut-être, à moins qu'elle ne soit déjà commencée. Dans ces moments, on sait ce qu'on fait, et pourquoi on est là. A aucun autre moment je ne me sens plus légitime.

Et pourtant, tant d'obsèques se déroulent sans musique! (NB amis organistes québécois : en France, l'orgue n'est pas "inclus" à l'église, il faut se débrouiller et venir avec son propre organiste, et comme la plupart des gens ne connaissent pas d'organiste... Paris, Lyon et la plupart des cathédrales faisant toutefois exception, mais c'est minoritaire au regard de la majorité des paroisses) La plupart des obsèques se déroulent donc sans musique, avec un brave chantre qui fait son possible ou un célébrant qui chante seul, ou pire encore avec un CD. Pourtant il existe des musiciens liturgiques, formés, compétents, disponibles. Mais les freins sont clairs: ce n'est pas qu'il n'y a pas d'organistes. Il y en a. C'est d'une part qu'il faut accepter que c'est un travail, et comme le dit la Bible, "tout travail mérite salaire"; ensuite, il serait bon de réfléchir à fédérer les musiciens qualifiés et disponibles (on s'appuie pour le moment sur les réseaux personnels, untel qui connaît untel, il n'existe aucun listing), et enfin (surtout?) il faut remettre au coeur de l'Eglise les textes qui affirment la place de l'orgue dans la liturgie. Pas le djembé, pas la guitare, pas le cd. L'orgue, comme premier instrument liturgique. Je ne l'invente pas, je ne prêche pas pour ma paroisse, c'est dans les textes.

Il y a du boulot! là où j'ai joué aujourd'hui (pas ma paroisse), j'ai été accueillie par le curé qui s'est empressé de me dire que l'orgue n'était "que" l'un des éléments, facultatifs, de la liturgie (se réfugiant derrière l'argument: oui mais c'est le Christ le plus important... et fin de la discussion...) Quand j'entends cela, je suis triste, et je me demande : oui mais nous qui avons reçu ce don, puis qui nous sommes formés, pendant 10 ans, 20 ans, en musique, en liturgie, en théologie même parfois, on fait quoi maintenant?

Enfin bon, entre dans la Lumière, chère M...; quant à moi j'éprouve de la gratitude d'avoir pu accompagner ces obsèques avec trois des meilleurs sonneurs de Bretagne, qui ont, eux aussi, donné une musique priante, intense, belle, pleinement à sa place dans cette liturgie. Dans le dernier verset d'Ar Baradoz, avec l'orgue en tutti et les bombardes qui chacune improvisait une 2e voix, je n'étais pas la seule à avoir les larmes aux yeux. Ce n'est pas au Stade de France, ce n'est pas au Quartz, ni au Moustoir que ce genre de moment a lieu. C'était dans une humble église de Bretagne, aujourd'hui.