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Claveciniste, sp�cialiste reconnue de musique ancienne, la Qu�b�coise Claude Nadeau est tomb�e amoureuse de la Bretagne. Et entre la musicienne et la langue bretonne s'est nou�e une histoire d'amour qui a donn� naissance � l'�cole Diwan Paris.

par GA�L GU�GUEN photos EMMANUEL PAIN

La naissance de Diwan Paris est une l�gende et Claude Nadeau en est � la fois l'h�roine principale et la conteuse. La femme aux chapeaux peut vous raconter l'histoire autant de fois que vous voulez l'entendre, du moment que vous en parlez � votre tour, car une l�gende se transmet comme une langue. La pr�sidente de Skoazell Diwan Paris - l'association de soutien � Diwan -est polygtotte, conna�t sept langues, dont le breton, qu'elle parle et chante. Comme par exemple devant le gratin industriel breton, r�uni en colloque le 17 novembre 2002. Une date imprim�e dans la l�gende. Ce jour-l�, Claude Nadeau est invit�e � prendre la parole pour pr�senter... la musique classique bretonne. Eh oui, quatre ans apr�s son arriv�e en France, cette musicienne, premier prix de clavecin, dipl�m�e de musique ancienne, est autant capable d'entonner une gwerz en plein milieu d'un repas, que d'interpr�ter des �uvres du compositeur baroque Jean-Od�o de Mars ou encore disserter sur ce compositeur breton ayant ses entr�es � Versailles!

Alors, au lieu de faire simplement le job qu'on lui demande, elle s'approche du micro et se prend � r�pliquer � l'intervenant prec�dant, celui-ci ayant eu le malheur de critiquer l'usage de la langue. C'est l� que la l�gende prend corps. "Je ne suis pas d'accord, la langue bretonne est indissociable de la culture bretonne. Combien de gens parlent breton ici ?" demande-t-elle. Silence de mort dans la salle, moment de honte � grande �chelle. "J'ai senti que j'avais donn� un coup de pied dans la fourmili�re. Tu imagines ? C'est comme si quelqu'un venait pour un colloque sur la culture qu�b�coise et s'exprimait enti�rement en anglais : You have to keep your culture, how beautiful, bla bla bla". Claude Nadeau parle anglais avec un accent am�ricain, breton comme on l'enseigne � Diwan et fran�ais avec l'accent de la belle province, tout en mesure et tambour battant.

Arriv�e � Roissy avec son sac � dos
Revenons avec plaisir sur ce moment de honte fondateur. Apr�s avoir harangu� l'auditoire, elle continue en breton � exposer son savoir musical, avant de s'arr�ter. Rien qu'une minute en breton, �a produit son effet devant cinq cents natifs ayant perdu leur langue. "Alors, vous faites quoi ? D�cidons quelque chose", dit-elle. Au buffet, elle est assaillie par tous ceux qui se sont sentis vis�s : "Je n'ai pas pu manger la moindre hu�tre, tout le monde est venu me voir". Parmi les convives, Jean-Yves Le Bras, avocat, fondateur de l'�cole Diwan de Guingamp, s'approche et glisse : "On fait une �cole Diwan � Paris ?"

Un mois plus tard, les statuts �taient en pr�fecture. "J'ai �te le catalyseur, mais je ne suis pas la Jeanne d'Arc du mouvement breton". Pourtant, depuis ce fameux 17 novembre 2002 et cette d�claration d'amour � la langue, Claude Nadeau s'engage corps et �me dans l'aventure, au point de perdre sa place de chef de ch�ur � RFO. "Le jour de l'ouverture de l'�cole Diwan, j'ai �te vir�e!"

Si un r�alisateur r�fl�chit en ce moment � l'id�e de faire un film sur la l�gende, il sait qu'il devra tourner une s�quence au Ty Jos, le bar-cr�perie parisien, l� o� Servat a cr�� La Blanche Hermine, car c'est aussi dans cet endroit que l'association de soutien a pris forme, dans une ambiance fi�vreuse des grands soirs. Le premier adh�rent a fil� les vingt euros qu'il n'avait plus besoin de boire, "nous lui avons donn� un re�u sur un bout de nappe en papier". Nous sommes en septembre 2004, � peine deux ans apr�s sa fameuse prise de micro. Fran�ais Goulard, ministre d�l�gu� � l'Enseignement Sup�rieur et � la Recherche, inaugure la premi�re �cole Diwan de Paris, rue du Moulin-Vert dans le 14e. Les cam�ras de TF1 sont pr�sentes. "Ce qui fait notre force, c'est notre visibilit� m�diatique". Claude Nadeau sait de quoi elle parle, elle �tait animatrice radio au Qu�bec, du temps o� elle ignorait compl�tement qu'il y avait une Bretagne.

Quand elle est arriv�e � Roissy en 1998, avec son sac � dos, elle savait juste qu'elle serait musicienne, elle jouerait du clavecin. "Tout le monde m'a dit : ne vous faites pas d'illusion, vous ne serez jamais professionnelle ! ...en janvier dernier, je jouais comme soliste � l'Op�ra de Paris".

Cette femme poss�de une volont� � toute �preuve, elle d�fend ce qu'elle aime. "Le clavecin, c'est comme le breton: c'est ancien, c'est rare, et si on ne s'occupe pas de lui, on n'en entendra plus", aime-t-elle dire. � partir de l'instant ou elle a pouss� la porte de la Mission bretonne en d�barquant � Paris, Miss Nadeau s'est trouv� une terre d'accueil. "Au Qu�bec, nous sommes le petit village gaulois qui r�siste. La Bretagne, c'est un peu la m�me chose. Je me serais sentie cheap de ne pas apprendre le breton", dit-elle.

Pour la premi�re rentr�e, il fallait trouver un instituteur, un local, de l'argent. "J'ai retourn� chaque caillou du 14e pour trouver du fric, les travaux ont �t� r�alis�s par des b�n�voles", tout a march� gr�ce � la d�termination. "Nous n'avons jamais envisag� l'�chec comme une possibilit�" dit-elle. Des paroles dignes d'un chef militaire. Mais deux ans apr�s la premi�re rentr�e h�ro�que, Diwan se retrouve � la rue, faute de moyens. Qu'� cela ne tienne, un bon communiqu� de presse peut �tre salutaire: l'�cole Diwan victime de son succ�s, voil� comment la Pr�sidente pr�sente la chose aux journalistes. Une semaine avant la rentr�e 2006, les enfants ne savent toujours pas dans quelle cour ils iront jouer. Coup de fil du cabinet du maire de Paris. "Vous avez besoin de 100 m�tres carr�s dans le quartier Montparnasse ? Je vous rappelle dans 48 heures". �tant donn� qu'il y a au moins un million de Franciliens d'origine bretonne, soutenir Diwan n'est pas n�gligeable d'un point de vue politique. D'ailleurs Bertrand Delano� en personne est venu dire qu'il �tait bon d'apprendre plusieurs langues. C'est un soutien qui ne se refuse pas, m�me si l'�cole n'est pas subventionn�e. Pour deux petites salles de classe, une cuisine et une cour, l'association paye la location au prix du march�.

En sonnant � l'interphone au 38, rue Liancourt, 14e arrondissement, on ne se doute pas que derri�re la porte, on trouvera � l'heure de midi des enfants de toutes nationalit�s accueillant le nouvel arrivant en breton, pendant que d'autres sont au r�fectoire, question de place et d'organisation. Une classe de maternelle et une classe primaire, deux instituteurs, Diwan Paris est une �cole en germination, comme son nom l'indique et tout le monde peut la financer. "Il y a un mec qui a entendu un reportage � la radio, on ne sait pas qui c'est. Il nous a envoy� un ch�que de cinq cents euros", s'amuse Claude Nadeau.

Les donateurs ne sont pas tous anonymes, Diwan est aussi aliment�e par des industriels m�c�nes. "Je leur dis : c'est bon pour votre image de marque". Typiquement le genre de discours qui s�duit les chefs d'entreprise, comment r�sister � un tel aplomb ? "Il faut arr�ter de se plaindre, mais donner envie aux gens de vous suivre. Personne n'a envie de filer du fric � ceux qui pleurnichent. Mon point de vue, c'est que les mecs, faut les faire bander!" Les mots sont crus, mais c'est bien parce qu'elle en est r�duite aux derni�res extr�mit�s. Chaque ann�e pour le budget c'est toujours moins une, alors il faut y aller � la hussarde.

Le priv� qui fait avancer l'enseignement
Une des premi�res entreprises � r�pondre pr�sent, Coopagri Bretagne, envoie un premier ch�que de mille euros. Le quotidien �conomique Les �chos l'imprime noir sur blanc (lire l'article). Un second ch�que arrive chez Diwan, du m�me Coopagri. Croyant � une erreur et par souci d'honn�tet�, le franc-parler va de pair avec la droiture, la Pr�sidente appelle Jean-Bernard Solliec, le directeur g�n�ral, qui lui explique : "Non, ce n'est pas une erreur, �a fait dix ans que je suis � la t�te de Coopagri. C'est la premi�re fois que j'ai une demi-page dans Les Echos, �a vaut bien un petit coup de pouce".

Voil� comment �a marche. C'est un genre de business participatif, un mot � la mode. Le priv� qui fait avancer l'enseignement, on n'a encore jamais vu �a en France. Mais on n'a encore rien vu, c'est le r�ve am�ricain appliqu� au breton: "Soyez entreprenants, r�vez en Technicolor, voyez grand". Claude Nadeau a le contact. Elle fait vibrer la corde sensible des Bretons qu'elle croise sur sa route. On lui est reconnaissant � elle, une �trang�re, de parler cette langue qu'on a souvent perdue en arrivant � Paris. Les donateurs ayant pignon sur rue affichent leur soutien, l'autocotlant bleu Evid ar skolio� Diwan est bien visible aux Invalides sur la vitrine du restaurant �toil� Le Divellec. Le chef a tenu � ce que la dame chapeaut�e place elle-m�me ce signe d'appartenance � c�t� des autocottants promotionnels. L'int�r�t n'est pas mince, les d�put�s mangent r�guli�rement la cuisine de Jacques Le Divellec, ils ne peuvent manquer ce rep�re.

Faire feu de tout bois, voil� la tactique d'une self-made woman, pardon, d'une femme pr�te � r�ussir dans les entreprises qu'elle m�ne avec c�ur et intelligence. Ainsi, au moment de nous s�parer, je lui avoue que moi-m�me, Breton habitant en Bretagne et fr�quentant des bretonnants, je ne parle pas la langue. La r�plique fuse: "Ach�te-toi des couilles et apprends le breton"

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