ParClaude Nadeau,samedi 19 mai 2007 à15:40 :: Actualités:: #83 :: rss

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Claveciniste, spécialiste reconnue de musique ancienne, la Québécoise Claude Nadeau est tombée amoureuse de la Bretagne. Et entre la musicienne et la langue bretonne s'est nouée une histoire d'amour qui a donné naissance à l'école Diwan Paris.
par GAËL GUÉGUEN photos EMMANUEL PAIN
La naissance de Diwan Paris est une légende et Claude Nadeau en est à la fois l'héroine principale et la conteuse. La femme aux chapeaux peut vous raconter l'histoire autant de fois que vous voulez l'entendre, du moment que vous en parlez à votre tour, car une légende se transmet comme une langue. La présidente de Skoazell Diwan Paris - l'association de soutien à Diwan -est polygtotte, connaît sept langues, dont le breton, qu'elle parle et chante. Comme par exemple devant le gratin industriel breton, réuni en colloque le 17 novembre 2002. Une date imprimée dans la légende. Ce jour-là, Claude Nadeau est invitée à prendre la parole pour présenter... la musique classique bretonne. Eh oui, quatre ans après son arrivée en France, cette musicienne, premier prix de clavecin, diplômée de musique ancienne, est autant capable d'entonner une gwerz en plein milieu d'un repas, que d'interpréter des œuvres du compositeur baroque Jean-Odéo de Mars ou encore disserter sur ce compositeur breton ayant ses entrées à Versailles!
Alors, au lieu de faire simplement le job qu'on lui demande, elle s'approche du micro et se prend à répliquer à l'intervenant precédant, celui-ci ayant eu le malheur de critiquer l'usage de la langue. C'est là que la légende prend corps. "Je ne suis pas d'accord, la langue bretonne est indissociable de la culture bretonne. Combien de gens parlent breton ici ?" demande-t-elle. Silence de mort dans la salle, moment de honte à grande échelle. "J'ai senti que j'avais donné un coup de pied dans la fourmilière. Tu imagines ? C'est comme si quelqu'un venait pour un colloque sur la culture québécoise et s'exprimait entièrement en anglais : You have to keep your culture, how beautiful, bla bla bla". Claude Nadeau parle anglais avec un accent américain, breton comme on l'enseigne à Diwan et français avec l'accent de la belle province, tout en mesure et tambour battant.
Arrivée à Roissy avec son sac à dos
Revenons avec plaisir sur ce moment de honte fondateur. Après avoir harangué l'auditoire, elle continue en breton à exposer son savoir musical, avant de s'arrêter. Rien qu'une minute en breton, ça produit son effet devant cinq cents natifs ayant perdu leur langue. "Alors, vous faites quoi ? Décidons quelque chose", dit-elle. Au buffet, elle est assaillie par tous ceux qui se sont sentis visés : "Je n'ai pas pu manger la moindre huître, tout le monde est venu me voir". Parmi les convives, Jean-Yves Le Bras, avocat, fondateur de l'école Diwan de Guingamp, s'approche et glisse : "On fait une école Diwan à Paris ?"
Un mois plus tard, les statuts étaient en préfecture. "J'ai éte le catalyseur, mais je ne suis pas la Jeanne d'Arc du mouvement breton". Pourtant, depuis ce fameux 17 novembre 2002 et cette déclaration d'amour à la langue, Claude Nadeau s'engage corps et âme dans l'aventure, au point de perdre sa place de chef de chœur à RFO. "Le jour de l'ouverture de l'école Diwan, j'ai éte virée!"
Si un réalisateur réfléchit en ce moment à l'idée de faire un film sur la légende, il sait qu'il devra tourner une séquence au Ty Jos, le bar-crêperie parisien, là où Servat a créé La Blanche Hermine, car c'est aussi dans cet endroit que l'association de soutien a pris forme, dans une ambiance fièvreuse des grands soirs. Le premier adhérent a filé les vingt euros qu'il n'avait plus besoin de boire, "nous lui avons donné un reçu sur un bout de nappe en papier". Nous sommes en septembre 2004, à peine deux ans après sa fameuse prise de micro. Français Goulard, ministre délégué à l'Enseignement Supérieur et à la Recherche, inaugure la première école Diwan de Paris, rue du Moulin-Vert dans le 14e. Les caméras de TF1 sont présentes. "Ce qui fait notre force, c'est notre visibilité médiatique". Claude Nadeau sait de quoi elle parle, elle était animatrice radio au Québec, du temps où elle ignorait complètement qu'il y avait une Bretagne.
Quand elle est arrivée à Roissy en 1998, avec son sac à dos, elle savait juste qu'elle serait musicienne, elle jouerait du clavecin. "Tout le monde m'a dit : ne vous faites pas d'illusion, vous ne serez jamais professionnelle ! ...en janvier dernier, je jouais comme soliste à l'Opéra de Paris".
Cette femme possède une volonté à toute épreuve, elle défend ce qu'elle aime. "Le clavecin, c'est comme le breton: c'est ancien, c'est rare, et si on ne s'occupe pas de lui, on n'en entendra plus", aime-t-elle dire. À partir de l'instant ou elle a poussé la porte de la Mission bretonne en débarquant à Paris, Miss Nadeau s'est trouvé une terre d'accueil. "Au Québec, nous sommes le petit village gaulois qui résiste. La Bretagne, c'est un peu la même chose. Je me serais sentie cheap de ne pas apprendre le breton", dit-elle.
Pour la première rentrée, il fallait trouver un instituteur, un local, de l'argent. "J'ai retourné chaque caillou du 14e pour trouver du fric, les travaux ont été réalisés par des bénévoles", tout a marché grâce à la détermination. "Nous n'avons jamais envisagé l'échec comme une possibilité" dit-elle. Des paroles dignes d'un chef militaire. Mais deux ans après la première rentrée héroïque,
Diwan se retrouve à la rue, faute de moyens. Qu'à cela ne tienne, un bon communiqué de presse peut être salutaire: l'école Diwan victime de son succès, voilà comment la Présidente présente la chose aux journalistes. Une semaine avant la rentrée 2006, les enfants ne savent toujours pas dans quelle cour ils iront jouer. Coup de fil du cabinet du maire de Paris. "Vous avez besoin de 100 mètres carrés dans le quartier Montparnasse ? Je vous rappelle dans 48 heures". Étant donné qu'il y a au moins un million de Franciliens d'origine bretonne, soutenir Diwan n'est pas négligeable d'un point de vue politique. D'ailleurs Bertrand Delanoë en personne est venu dire qu'il était bon d'apprendre plusieurs langues. C'est un soutien qui ne se refuse pas, même si l'école n'est pas subventionnée. Pour deux petites salles de classe, une cuisine et une cour, l'association paye la location au prix du marché.
En sonnant à l'interphone au 38, rue Liancourt, 14e arrondissement, on ne se doute pas que derrière la porte, on trouvera à l'heure de midi des enfants de toutes nationalités accueillant le nouvel arrivant en breton, pendant que d'autres sont au réfectoire, question de place et d'organisation. Une classe de maternelle et une classe primaire, deux instituteurs, Diwan Paris est une école en germination, comme son nom l'indique et tout le monde peut la financer. "Il y a un mec qui a entendu un reportage à la radio, on ne sait pas qui c'est. Il nous a envoyé un chéque de cinq cents euros", s'amuse Claude Nadeau.
Les donateurs ne sont pas tous anonymes, Diwan est aussi alimentée par des industriels mécènes. "Je leur dis : c'est bon pour votre image de marque". Typiquement le genre de discours qui séduit les chefs d'entreprise, comment résister à un tel aplomb ? "Il faut arrêter de se plaindre, mais donner envie aux gens de vous suivre. Personne n'a envie de filer du fric à ceux qui pleurnichent. Mon point de vue, c'est que les mecs, faut les faire bander!" Les mots sont crus, mais c'est bien parce qu'elle en est réduite aux dernières extrémités. Chaque année pour le budget c'est toujours moins une, alors il faut y aller à la hussarde.
Le privé qui fait avancer l'enseignement
Une des premières entreprises à répondre présent, Coopagri Bretagne, envoie un premier chèque de mille euros. Le quotidien économique Les Échos l'imprime noir sur blanc (lire l'article). Un second chèque arrive chez Diwan, du même Coopagri. Croyant à une erreur et par souci d'honnêteté, le franc-parler va de pair avec la droiture, la Présidente appelle Jean-Bernard Solliec, le directeur général, qui lui explique : "Non, ce n'est pas une erreur, ça fait dix ans que je suis à la tête de Coopagri. C'est la première fois que j'ai une demi-page dans Les Echos, ça vaut bien un petit coup de pouce".
Voilà comment ça marche. C'est un genre de business participatif, un mot à la mode. Le privé qui fait avancer l'enseignement, on n'a encore jamais vu ça en France. Mais on n'a encore rien vu, c'est le rêve américain appliqué au breton: "Soyez entreprenants, rêvez en Technicolor, voyez grand". Claude Nadeau a le contact. Elle fait vibrer la corde sensible des Bretons qu'elle croise sur sa route. On lui est reconnaissant à elle, une étrangère, de parler cette langue qu'on a souvent perdue en arrivant à Paris. Les donateurs ayant pignon sur rue affichent leur soutien, l'autocotlant bleu Evid ar skolioù Diwan est bien visible aux Invalides sur la vitrine du restaurant étoilé Le Divellec. Le chef a tenu à ce que la dame chapeautée place elle-même ce signe d'appartenance à côté des autocottants promotionnels. L'intérêt n'est pas mince, les députés mangent régulièrement la cuisine de Jacques Le Divellec, ils ne peuvent manquer ce repère.
Faire feu de tout bois, voilà la tactique d'une self-made woman, pardon, d'une femme prête à réussir dans les entreprises qu'elle mène avec cœur et intelligence. Ainsi, au moment de nous séparer, je lui avoue que moi-même, Breton habitant en Bretagne et fréquentant des bretonnants, je ne parle pas la langue. La réplique fuse: "Achète-toi des couilles et apprends le breton"
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