Pendant quatre jours, j'ai cru devenir sourde. C'est particulièrement flippant pour une musicienne de perdre l'ouïe, et je ne vous cache pas que j'ai eu des moments de réelle panique en me levant un matin pour me rendre compte que je n'entendais presque plus de l'oreille gauche. Ignorant la cause du mal subit, j'avoue que j'ai eu un mouvement d'effroi, car on redoute toujours immodérément de perdre ce ou ceux qu'on aime le plus. Et cette peur est directement proportionnelle à l'attachement que l'on porte à l'objet de notre amour : et si, du jour au lendemain, je perdais l'audition?

Je suis sourde, je vie au pays des esgourdes
Lasses, Lasse
Dans le silence où je me prélasse
Si tendrement, si calmement
A l'abri des redites
Je respire, on m'évite...

chantait l'excellent groupe Paris combo. Michel Oudoul, dans son fameux livre "Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi", croit que la surdité, qu'elle soit due à une simple otite (comme dans mon cas, j'allais l'apprendre plus tard) ou à des facteurs plus graves, a pour cause le refus subconscient d'entendre. Il est vrai que cette demi-surdité, associée à l'hypersensibilité au bruit propre à ceux qui ont des troubles d'audition, m'a fait prendre conscience de plusieurs choses : d'abord que nous vivons dans une société extrêmement agressive par son côté bruyant. Les bruits de la rue, le train qui arrive en gare, la musique qui joue à tue-tête dans les boutiques, le son du portable réglé au maximum... tout agresse. Et on ne s'en rend pas compte. Nous sommes comme les grenouilles dont on dit qu'on peut lors d'une expérience chauffer l'eau de leur bocal et augmenter sa température considérablement sans que les grenouilles ne réagissent, jusqu'au point limite où elles meurent. Ainsi dans notre monde le niveau de son augmentera-il jusqu'au jour où ce sera vraiment assez?

Tous les palabres, les palabres en cascade
Silence, silence, silence !
Tous les discours, Les discours de chasse à courre
Silence, silence, silence !
Alors tous les faussaires Les faussaires du glossaire
Silence, silence, silence !
Les érudits Qui nous l'ont déjà dit
Silence, silence, silence !

Surdité inquiétante mais ô combien protectrice ; malgré l'angoisse, combien il fut doux de m'enfermer dans mon silence, de ne plus entendre tous les bruits parasites, les importuns, les conversations vides... il me suffisait de fermer les yeux pour cesser de lire sur les lèvres, de ne plus regarder quelqu'un pour ne plus l'entendre. Silence. Et seulement toutes ces musiques qui dansent dans ma tête, mes musiques. Et ce geste intime aussi de me rapprocher physiquement de quelqu'un qui tient une conversation qui m'intéresse vraiment, sous prétexte de vouloir mieux l'entendre...

Dans le silence où je me prélasse
Si tendrement
J'attend le moment
L'instant sans pareil
Où je prête une oreille...

Las! Il faut bien voir et entendre le bon côté des choses. La vérité c'est qu'avec un instrument qui possède la finesse du clavecin, j'ai besoin urgemment de recouvrer une ouïe à 100% le plus rapidement possible! Mais comment faire quand il faut une éternité pour obtenir un rendez-vous chez l'ORL malgré la recommandation "urgente" du médecin de famille? Heureusement, un ami m'a suggéré d'aller au centre de santé d'Audiens, la caisse de santé et de retraite des professions du spectacle. Au bout du fil, dès que j'ai mentionné, pour obtenir un rendez-vous avec un ORL, que j'étais musicienne, on n'a fait ni une ni deux : présentez-vous immédiatement, on va trouver un moyen de vous recevoir, tout de suite, à tout prix. OUF!

Cette incursion dans le monde des personnes malentendantes m'a appris beaucoup de choses. Il faut parfois être privé de quelque chose qui nous semble naturel et allant de soi pour en mesurer tout le prix...