J'ai assisté samedi soir en Bretagne à une vision d'une spectaculaire beauté. Juste à l'heure du crépuscule, alors que je humais les derniers effluves d'un massif de rosiers, je levai les yeux et aperçus dans un ciel indigo la conjonction Lune-Vénus que l'on peut encore voir ce soir.

Quelle splendeur, cette Lune qui semble tenir Vénus en son giron dans un ciel à peine obscurci (Vénus est le premier luminaire visible le soir), la portant presque comme une offrande au septentrion de ses deux bras graciles!

A peine rentrée, toute émue encore du ballet des astres qui m'est apparu en plein visage comme un sublime et inattendu cadeau (et pourtant quoi de plus prévisible que les conjonctions astrales), j'ai croisé un papillon entré dans la maison. Un tout petit papillon qui virevoltait, et qui passait les quelques instants de sa courte vie à chercher la lumière, comme nous tous. Pendant les quelques secondes où il s'est posé sous mon regard, ses ailes ont dessiné la forme d'une feuille à la découpe délicate, habile travestissement sylvestre pour les moments d'immobilité. Pendant quelques secondes, ce papillon fut la plus belle chose du monde. Puis il s'est envolé, toujours en dansant, vers d'autres lumières...

Je tentai de raconter mes émois à mon hôte qui n'avait rien vu, lui détaillant tour à tour et avec hâte le massif de roses, la Lune, Vénus, le quartier gracile et l'astre brillant, les senteurs du soir, la lumière et le papillon, et mon interlocuteur me regarda sans comprendre, pantois, médusé. Devant son incompréhension sincère, hésitant sans doute entre me juger futile ou un peu fêlée, je me surpris à lui dire qu'il *devait* comprendre, mais qu'il devait écouter, que c'était la chose la plus importante au monde. "Quoi? me rétorqua-t-il, presque impatient, les roses, la Lune et les papillons?" - "Non : la contemplation de la Beauté".

En fait, tout le travail du musicien est là : il se partage en deux volets. D'un côté le travail d'artisan, d'orfèvre, d'ouvrier qui modestement cent et cent fois sur le métier remet son ouvrage, et le polit sans relâche jusque dans les moindre ornements. Et de l'autre celui du contemplatif qui de repaît de la Beauté, qui l'adore jusqu'à l'absorption totale et finit par se fondre en elle. Tout l'Univers est là. Tout l'Amour est là. Et c'est de cet Amour, noyeau central igné, que procède le monde.

La Lune est passée de l'autre côté du miroir, le jour se lève, et c'est un lundi comme les autres: paperasse, coups de fil, devis, envoi de CV pour figurer dans un annuaire, courriels, envoi d'une photo en haute définition pour le programme d'un festival où je jouerai cet été, chèques, timbres, La Poste, beaucoup d'administration et peu de musique. C'est un métier comme un autre, finalement. Le problème c'est qu'il faut en vivre... et que les contraintes de la vie ne laissent que peu de place à l'extase. Qu'importe : demain soir, Saturne la taciturne viendra se joindre à l'astre de beauté et le pas de deux se fera tercet ! O joie! O enchantement!