Le 20e Salon du Livre de Carhaix se d�roule cette ann�e les 28 et 29 octobre dans la ville aux vieilles charrues. Cette ann�e, la nation invit�e d'honneur est le Qu�bec. Aussi � cette occasion, on m'a demand� de r�diger la pr�face du catalogue du Salon. En voici le texte.
R�ver en gwenn, en du et en Technicolor
Les liens entre Bretagne et Qu�bec ne sont pas toujours ceux que l�on croit. Gaston Miron n��crivait-il pas
� Nous te ferons, Terre de Qu�bec / lit des r�surrections / et des mille fulgurances de nos m�tamorphoses �
(Gaston Miron, � L�Octobre �,
in : L�homme rapaill�) � l�heure o� Xavier Grall clamait
� Nous te ferons Bretagne / avec des mots drus comme les gr�les / avec des mots tranchants comme les faux �? Plus encore que toute attache g�n�alogique, il y a entre le Breton et le Qu�b�cois un lien plus fort que le sang : celui du droit � l�existence en tant que peuple, avec une culture distincte et avec une langue propre.
Je ne soup�onnais pas, en arrivant au pays de Moli�re, l�existence d�une petite r�gion en forme de village gaulois � qui r�siste encore et toujours � l�envahisseur �, et avec laquelle la Qu�b�coise que je suis aurait trouv� tant d�affinit�s. C�est � Paris que j�ai d�couvert la Bretagne, sa musique qui m�a tout de suite fascin�e, et sa langue d�une richesse qui n�en finit pas de m��tonner.
Mais cette langue que j�ai voulu apprendre, je n�entendais personne la parler au quotidien : j�eus la na�vet� de croire, la premi�re fois que j�ai mis les pieds en Bretagne bretonnante, que j�entendrais du breton dans la rue. Mais ni sur la place, ni � la boulangerie, ni au fest-noz je n�entendis un mot de breton. Et il me fallut bien chercher pour trouver, finalement, quelques bretonnants sur lesquels je me suis jet�e, goulue, avide de la musique de leur langue.
J�ai compris depuis qu�on a d� dire aux Bretons la m�me chose qu�on a dite aux Qu�b�cois, d�crits par Lord Durham (1839) comme un peuple � sans histoire ni litt�rature, tout juste bon � l�assimilation �. (lire le rapport Durham)
Votre langue se meurt. Si rien n�est fait, dans 50 ans il ne vous restera plus qu�une poign�e de Dolly Pentraeth (derni�re personne � avoir parl� le cornique, morte au XVIII�me si�cle) pour assister � la fin du breton.
Il ne suffit pas de se prononcer � 92% en faveur de la sauvegarde du breton. Il ne suffit pas de souhaiter augmenter le nombre d��l�ves dans les fili�res bilingues tout en assistant impassiblement aux fermetures de classes. Il ne suffit pas de regretter que vos parents ne vous aient pas appris le breton.
Vous d�tenez en Bretagne un tr�sor et vous ne vous en rendez m�me pas compte. Vous f�licitez les Qu�b�cois de se battre pour leur langue chez-eux, et vous laissez mourir la v�tre.
Je comprends qu�il y ait d�autres combats dans la vie : la faim dans le monde, la pr�carit�, et toutes ces bonnes causes toutes plus justes les unes que les autres. Mais une langue qui meurt, c�est mille biblioth�ques qui br�lent. Une langue qui meurt, c�est un peu de la soci�t� qu�elle a port�e qui meurt avec elle. Qui sait si la disparition progressive du breton, langue de vie, v�hicule d�une culture, ciment entre les g�n�rations, n�est pas pour quelque chose dans le taux de suicide anormalement �lev� en Bretagne ?
La culture bretonne ne peut pas exister sans son support premier, la langue. Je n�ai aucune inqui�tude pour les traditions de danse, de costumes, de musique, bien ancr�es d�sormais dans nos m�moires et pour longtemps. Mais il est temps de prendre la langue � bras-le-corps.
J�ai choisi la France pour exercer ma profession de musicienne; j�aime profond�ment ce pays, dans la richesse de sa diversit�, et malgr� ses travers qui font les gorges chaudes des nord-am�ricains. Je trouve que la France a beaucoup de chance d�avoir la Bretagne dans ses fronti�res, comme elle a de la chance d�avoir toutes ces r�gions dont les guides touristiques vantent les vins, la cuisine et les accents si � typiques �. Quand la France sera-t-elle aussi fi�re de la diversit� de ses langues et de ses cultures r�gionales que de la diversit� de ses fromages ? Quand les touristes viendront-ils en Bretagne se faire photographier devant les panneaux bilingues comme on va du monde entier en �cosse se faire photographier devant des pancartes de noms de lieux impronon�ables ? Quand serons-nous v�ritablement europ�ens, et pourrons-nous assumer les deux termes de notre � Unit� dans la diversit� � ?
Vaste chantier ! Mais chaque individu est personnellement responsable de l�avenir du monde. Chacun d�entre nous peut infl�chir le cours de l�histoire, pour peu qu�on cesse de se plaindre et d�attendre que � quelque chose se passe � ou d�esp�rer l�av�nement d�un improbable messie : si chacun bouge localement, le monde est globalement transform�. Il faut cesser d��tre spectateur et devenir acteur.
Au Qu�bec il a suffi de quelques artistes pour signer un Refus Global qui ouvrait la porte � tous les � D�sormais� �. Il a suffi de quelques nuits de la po�sie sur le plateau Mont-Royal pour activer les ferments de la R�volution Tranquille. En Bretagne il a suffi d�une poign�e de militants au cours des derni�res d�cennies pour amorcer un changement de cap et commencer � redonner aux Bretons le go�t de leur langue. Il a suffi d�un coup de gueule un soir par une Qu�b�coise bretonnante pour provoquer l�onde de choc qui a engendr� Diwan Paris. Il suffit d�une toute petite goutte de teinture dans plusieurs litres d�eau pour changer la couleur de tout le liquide ; il suffit de quelques mol�cules radioactives pour irradier tout un pays.
A nous de jouer.
� Nous ferons de la terre
Une cath�drale sans murs.
Les dimensions du monde
Seront dans nos instants.
Chacun de nous
Officiera �.
Eug�ne Guillevic (Paroi) "Art po�tique"