Je fais beaucoup de clavecin actuellement. J'y reviens comme on revient toujours à son premier amour, et parfois il nous faut plusieurs heures pour nous réhabituer l'un à l'autre. Parfois le "Reine-Claude" ne sonne pas, comme s'il m'en voulait de l'avoir délaissé pendant plusieurs jours il me prive de ses meilleurs fruits, et il me faut le jouer longtemps, patiemment, doucement, pour qu'il daigne me prodiguer, comme un immense cadeau, ses châtoyantes sonorités sous mes caresses.

Le "Reine-Claude"? Il a déjà sa légende, car les plus beaux opus de Marc Ducornet ont un nom, comme les Stradivarius. Ce nom doit à la fois aux caractéristiques physiques de l'instrument et à la fois au claveciniste qui l'a inauguré ou qui le possède (comme on possède une femme - moi par exemple je possède le Reine-Claude, vraiment). Ainsi il y a, dans la galaxie des plus beaux Ducornet, le "Verlaine", inauguré par Blandine Verlet ; il y a aussi "Pinnocchio", le grand amour de ma vie (que je finirai bien par acquérir, bon Dieu! mais il vaut son pesant d'or...), inauguré par Trevor Pinnock, et quelques autres encore qui méritent qu'on les appelle par leur nom.

Lorsque j'ai enfin pu m'acheter mon instrument de travail, celui qui jusqu'à présent s'appelait le "52 notes" a été baptisé. Il est né en 1977 non pas du travail des excellents artisans que compte aujourd'hui l'atelier, mais des mains même du maître. Il a été inauguré, m'apprend l'excellent Jean Bascou (également facteur de clavecins, à Simiane) à l'Abbaye de Fontevraud par un certain William Christie. Il a fait plusieurs fois le tour du monde, ayant été utilisé à leurs débuts par les Arts Florissants et le même Bill Christie. Il a pas mal bourlingué avec moi aussi pour mes concerts un peu partout, sa dernière grande sortie était pour deux concerts en Bretagne : à Carhaix et à l'auditorium des Carmes à Vannes. Heureusement, il n'est pas très lourd et se déplace relativement facilement... car, eh oui, c'est moi qui le porte... Même si je dis souvent qu'on reconnaît mes vrais amis au fait qu'ils aient déjà porté le clavecin! Le portage du clavecin est une épreuve initiatique...

Pourquoi lorsque je l'ai acquis l'avoir baptisé le "Reine-Claude"? En obéissant aux règles des noms des clavecins Ducornet : d'abord la caractéristique physique de l'instrument, sa couleur qui rappelle celle de la prune de ce nom, son style qui le rend particulièrement propre à la musique de la Renaissance (la reine Claude était l'épouse de François 1er). Mais aussi à cause du prénom de sa propriétaire (et de ses allures royales, confieront ceux qui la connaissent), et parce que la reine Claude était la fille d'Anne de Bretagne.

Actuellement sur le pupitre, je travaille justement la musique de compositeurs bretons du XVIIIe siècle, la Fantaisie chromatique de Bach (quelle musique psychédélique!), le concerto pour clavecin en sol mineur toujours de Bach, des tangos de Piazzola et Take Five de Dave Brubeck. J'ai plein de projets, si vous saviez, mais pour le moment je suis encore sous le sceau du secret. De grandes choses se préparent! Ah si, j'allais oublier que j'improvise tous les jours sur un thème, comme un mantra ou une prière, et que tout cela se cristallisera sûrement bientôt en "paraphrase", comme ma "paraphrase sur le cantique Ar Baradoz" que certains d'entre vous connaissent déjà : ce thème que je peins quotidiennement et amoureusement au clavecin, c'est la gwerz bretonne "An hini a garan". Breizh Touch oblige!