La généalogie est un sport national au Québec. Je profite de la période de Noël, temps où chantres et organistes travaillent beaucoup, pour rendre hommage à mon grand-père et mon arrière-grand-père Diogène et Jean-Baptiste Le Blanc.

J'écris parfois dans les notes biographiques des programmes de mes concerts, que je suis "la 5e génération de musiciens d'église dans ma famille". C'est faux! Je viens de découvrir que je suis au moins la 7e génération!

Mais revenons à mon grand-père Diogène, que je n'ai malheureusement pas connu. Père de 15 enfants, il exerçait le noble métier de "laboureur", comme on disait autrefois, à Saint-François de Pabos en Gaspésie au Québec. Je dis bien "noble métier", pour trancher avec les clichés de bouseux et de péquenots que cela peut encore évoquer pour certains de nos jours, car être laboureur, au Québec à cette époque, c'était être un homme libre. Tous les matins, beau temps, mauvais temps, pluie ou neige, même à 30 en dessous de zéro, mon grand-père attelait la jument de trait et allait chanter la messe en grégorien à la paroisse Sainte-Adélaïde de Pabos, au bord de la Baie des Chaleurs. Sa terre était "dans le rang" (l'organisation des terres labourées étant encore imprégnée de régime seigneurial), et le chemin qu'il empruntait avec sa jument pour aller à l'église porte aujourd'hui son nom.

Tous les soirs après souper, ma mère me raconte qu'il se mettait à l'harmonium avec son Paroissien Romain, et qu'il répétait sa messe du lendemain. On dit qu'il avait une très belle voix. C'est en tout cas l'image qu'en garde ma mère, chez qui toutes ces mélodies ont laissé une empreinte profonde. Si bien que lorsque j'étais petite, pour m'endormir ou pour me distraire, que me chantait ma mère? Ce qu'elle avait entendu chanter par ses propres parents : du chant grégorien!

Rares sont les gens de ma génération qui ont eu la chance de recevoir, j'oserais dire par filiation, le "virus" du chant grégorien! Certes en grandissant j'ai considérablement approfondi ma connaissance de cette musique aussi vaste que la mer qui frappe la falaise au pied de l'église Sainte-Adélaïde de Pabos, et travaillé les différents styles comme les différentes esthétiques de cette musique, et je ne chante certainement pas le chant grégorien comme pouvait le faire mon grand-père. Mais chaque fois que j'entonne la Messe des Anges, j'ai une pensée pour le laboureur père de ses quinze enfants qui l'a transmise à ceux qui me l'ont transmise, moi qui la transmets à mon tour... (voir le billet "Stage de musique médiévale" dans la rubrique "Actualités")

Il faudra que je demande à ma mère comment se fait-il que mon grand-père se soit retrouvé chantre à la paroisse. Sans doute de la même façon que moi : à 12 ans on m'a assise sur un banc d'orgue, avec à peine quelques cours de piano dans les pattes, et il ne faisait de doute dans l'esprit de personne que j'allais jouer! Je n'ai jamais arrêté depuis: du haut de mes 31 ans, cela fera bientôt 20 ans que j'exerce comme musicienne du culte. D'abord pendant mes cinq ans de collège chez les religieuses (tous les matins! une sacrée école!), puis à la paroisse Saint-Charles Garnier à Montréal, puis à la Chapelle Notre-Dame du Bon-Secours, superbe sanctuaire sur le vieux-port de Montréal. En France j'ai exercé à Notre-Dame d'Alfortville et à la Chapelle de l'Agneau Vainqueur à Paris, en plus de nombreux offices chez nos amis protestants et même dans les synagogues! Diogène Le Blanc n'a fait, j'imagine, que reprendre le flambeau de Jean-Baptiste Le Blanc son père (ci-contre en photo avec son épouse mon arrière-grand-mère Marguerite Grenier), qui l'avait lui-même repris de son père...

En fait, aussi loin qu'on puisse remonter de mémoire d'homme, dans ma famille, on a toujours animé des messes. Et voilà que ma mêre me fait part, par-delà la mémoire humaine, à travers la mémoire écrite, qu'elle a lu (tiens il faudra que je lui demande où) que notre aïeul Benjamin Le Blanc (né en Acadie en 1740) animait des "messes blanches". Les messes blanches étaient des célébrations dominicales, des batêmes ou des funérailles, où faute de prêtre un laïc célébrait. (voir l'excellent article à ce sujet sur le blog de la famille Dugas - note : le Charles Dugas dont il est question est le beau-père de Benjamin LeBlanc) Ce n'est donc plus la 5e génération de musiciens d'église, mais bien la 7e... enfin, au moins. Jusqu'à ce qu'on trouve une mention d'archive qui confirmera que le père de Benjamin LeBlanc, et son grand-père avant lui...

Qu'ils soient tous bénis, en ce temps de Noël, ceux qui ont passé le flambeau qui est arrivé jusqu'à moi et qui brûle encore!

Lire aussi : "Il touche l'orgue depuis 40 ans", un portrait de mon oncle Claude LeBlanc, organiste à Sainte-Adélaïde de Pabos